Jacques De Decker
Philippe Remy-Wilkin
Responsable de la page :
18 août 1945
Schaerbeek (Belgique)
11 avril 2020
Bruxelles (Belgique)
74
ans
Belgique
Présentation
Jacques De Decker ! Comment le prĂ©senter en quelques lignes ? Il a occupĂ© une telle aire dans nos Lettres, dans notre vie artistique et intellectuelle durant plus de cinq dĂ©cennies. By Jove ! Il participait dĂ©jĂ Ă la fondation dâun thĂ©Ăątre, lâEsprit frappeur, avec son condisciple Albert-AndrĂ© Lheureux, durant ses humanitĂ©s !
Evidemment, il a Ă©tĂ© le grand critique littĂ©raire que lâon sait, non par frustration mais par appĂ©tit, curiositĂ©, sens du partage et du service, hissant la mĂ©diation culturelle au niveau dâun art. Dâaucuns mettront en exergue que ce polyglotte enamourĂ© de lâor de tous les temps et de tous les espaces a livrĂ© pour la scĂšne des traductions, des adaptations hors pair des plus grands auteurs mondiaux (de Goethe Ă Shakespeare, en passant par Brecht, Claus, Schnitzler, etc.). Dâautres viendront faufiler quâil Ă©tait un gĂ©nie Ăšs amitiĂ© qui rĂ©pandait son temps comme JĂ©sus, selon certaines traditions, reproduisait le vin, et câĂ©taient des soupers, des prĂ©sentations dâartistes, un soutien propulsĂ© envers mille projets. On nâoubliera pas, certes, quâil a Ă©tĂ© un SecrĂ©taire perpĂ©tuel dâAcadĂ©mie royale bien peu acadĂ©mique, qui juxtaposait dĂ©cloisonnement et exigence. Ou un directeur de revue inventif (Marginales et la rencontre de la nouvelle et des thĂšmes du temps).
Un commentateur plus gourmet viendra assĂ©ner lâengagement et le dĂ©sintĂ©ressement, la modernitĂ© Ă©thique et sans ĆillĂšres aussi qui saupoudraient ses mille sillons (et si lâon parlait de ses activitĂ©s dans lâenseignement, etc. ?). Un autre, particuliĂšrement introduit, viendra renchĂ©rir, insinuant lâadmiration, lâamitiĂ©, lâamour mĂȘme du microcosme Ă son Ă©gard. Du jamais vu ?
Mais ! Quand ? Quand, bon sang, rĂ©alisera-t-on que Jacques De Decker Ă©tait avant tout un crĂ©ateur ? Il suffit de le lire ou de lâĂ©couter sur scĂšne, son Ćuvre littĂ©raire (romans, nouvelles, biographies) et dramatique est dâune si haute tenue, vive et profonde sans affectation, dissimulant ses richesses aux premiers regards, horlogĂšre, pĂ©nalisĂ©e par son refus des modes, son retrait promotionnel, son renouvellement constant.
JDD a tant rĂ©alisĂ© et tant Ă©crit quâil est impossible de tout recenser. Impossible de tout trouver, impossible de tout citer. Lors de la commĂ©moration de vingt annĂ©es de prĂ©sentation des Coups de midi des Riches Claires, un livret permet de plonger dans lâeffarement. Des dizaines de ses Ćuvres seraient Ă ajouter sous la rubrique collaborations. Et ce sont, par dizaines, des ouvrages Ă©crits Ă deux ou en Ă©quipe, des prĂ©faces, etc.
Un exemple ? Jacques DE DECKER, pp. 11-30 dans Lettres françaises de Belgique, Mutations, une sĂ©rie dâentretiens menĂ©s par Paul Emond en compagnie dâautres figures du microcosme (Frans De Haes, Hubert Juin, Anne-Marie La FĂšre, Pierre Mertens, Marc Quaghebeur, Marc Rombaut, Henri Ronse, Jean Tordeur et Fernand Verhesen), Archives et musĂ©e de la littĂ©rature/collection Archives du futur, Bruxelles, 1980. JDD offre ici une extraordinaire reconstitution des aventures du thĂ©Ăątre belge depuis la fin de la DeuxiĂšme Guerre mondiale. Il est question de belgitude, de Jeune ThĂ©Ăątre, de lâimportance de multiples figures (Henri Chanal, RenĂ© Kalisky, Albert-AndrĂ© Lheureux, Jean Louvet, Jean Sigrid, Paul Willems, etc.), de la spĂ©cificitĂ© des Lettres belges, etc.
Quelques exemples encore ? Les aventures de la littérature (avec Jacques Carion), essai, L'Ambedui, Bruxelles, 2001. Un siÚcle en cinq actes. Les grandes tendances du théùtre belge francophone au XXe siÚcle (avec Paul Aron, Cécile Michel, Philip Tirard et Nancy Delhalle), essai, Le Cri/collection Histoire, Bruxelles, 2003. Je me souviens de Bruxelles (collectif), anthologie, Le Castor Astral/collection Escales du Nord, Bordeaux, 2006.
On doit Ă JDD une soixantaine dâadaptations, 53 traductions et 7 transpositions, allant du registre classique au registre contemporain, dont une partie seulement a Ă©tĂ© publiĂ©e. Dâautres adaptations ne sont plus du thĂ©Ăątre tout en entretenant un lien Ă©troit avec le registre dramatique :
deux scĂ©narios de films pour Jean-Pierre Berckmans, dâaprĂšs des livres de Maud FrĂšre (Les jumeaux millĂ©naires et La dĂ©lice), lâun pour le petit Ă©cran (en 1974), lâautre pour le grand (Isabelle devant le dĂ©sir, en 1975) ;
deux livrets dâopĂ©ra : FrĂŒhlings Erwachen, dâaprĂšs Wedekind, pour le compositeur BenoĂźt Mernier, en 2006 ; A lâextrĂȘme bord du monde, qui relate les derniers moments et le suicide de Stefan Zweig, pour Harold Nonen, un opĂ©ra de chambre cette fois, qui sera montĂ© en octobre 2020.
LâĆuvre critique (littĂ©raire, dramatique et culturelle) ou journalistique de JDD dĂ©passe trĂšs largement les trois anthologies publiĂ©es. Il y a avant tout ses milliers dâarticles publiĂ©s dans Le Soir, mais il a multipliĂ© les collaborations tous azimuts. Un exemple ? Entre 2006 et 2009, Thierry Leroy lui offre une rubrique thĂ©Ăątrale dans la revue Indications. Et JDD de nous parler de Pirandello, Shaw, Brecht, Claudel, Pinter, sans oublier les belges Willems et Ghelderode, etc. Mais le puits est sans fond. Ainsi, JDD a rĂ©digĂ© une foultitude dâarticles (sur Trump, Macron, Jorion, la culture belge, etc.) pour Le vif. Dont on peut se faire une idĂ©e via le site du magazine Le Vif.
Combien dâaventures du mĂȘme type, ponctuelles ou prolongĂ©es, Ă©chappent Ă nos investigations ? Il ne se passe guĂšre un mois, une semaine sans que je ne dĂ©couvre un texte qui ajoute sa pierre Ă lâĂ©difice. Un jour, câest La revue nouvelle qui lui propose un dossier Les avatars dâun nĂ©ologisme dans son n° 7/2016 Quarante ans de belgitude. Nommer lâindĂ©finissable ? (pp. 22-26). Un autre, Le carnet et les instants, dans la revue papier, lâinvite Ă Ă©crire un texte prospectif, mis en ligne rĂ©cemment.
Quand ce nâest pas le quasi homonyme Carnets, oĂč il Ă©crit Les nouveaux idĂ©ologismes dans PremiĂšre sĂ©rie â 3 NumĂ©ro spĂ©cial/2011 La littĂ©rature face au « politiquement correct ». Notions, pratiques et dĂ©rives, APEF (Association Portugaise dâEtudes Françaises), pp. 5-9, mis en ligne dans la version Ă©lectronique de la revue en 2018.
On peut aussi dĂ©couvrir lâensemble de ses Ă©ditoriaux pour Marginales (1998-2020), et câest un art en soi, que JDD brandissait haut.
Philippe Remy-Wilkin