Toi, tes souliers
Françoise Nice
Pour
Jacques De Decker
(Françoise Nice promène le livre d'hommages au Parc Josaphat de Schaerbeek, un parc qu'appréciait beaucoup Jacques De Decker)
Le pavé bruxellois geint de n’être plus foulé par tes pas
je le regarde virer sans fin
c’est une ritournelle
du mauve au gris, du violet au noir
je le vois saisir un reflet d’aurore
se plomber quand le ciel s’obscurcit
luire infiniment sous les lumières de la ville
suer d’ennui ou de plaisirs arrachés au crachin
Les pigeons roucoulent grassement
chœur miteux peine invasive
Et pourtant des rires et des joies à l’angle des rues
« J’ai tendu des cordes de clocher à clocher, des guirlandes de fenêtre à fenêtre, des chaînes d’or d’étoile à étoile »
Une portière a claqué
là-bas tu danses avec ta lyre
Il est mat et mélancolique
ce pavé qui se souvient de tes pas
on ne le lance pas comme à Paris
y sonnent les pas de l’agent 15 quand détalent les Quick et Flupke de ton enfance
et leur lance-pierre
y brillent les gyrophares bleus des autopompes et des meutes fliquées
qui mériteraient bien d’en prendre un, de pavé sur la tronche
il est lourd
De temps en temps y brille l’or d’un pavé de mémoire
on ne le jette pas ce pavé
le porphyre de Lessines est docile
perclus de vies invisibles
il fut le tapis de tes pas
une longue caresse pour tes chevilles de rêveur
allant revenant
dénichant sous le ciel tous les cieux
à quoi ressemblaient tes souliers ?
Je n’ai jamais regardé que les lacets de ta pensée
Les nœuds que tu faisais en grande voltige
Faisant de tout lien et ouverture d’esprit
me laissant ravie éblouie
transportée par l’arc d’un sourire
aujourd’hui le pavé de Bruxelles sonne sourd et bleu
combien de semelles célestes y as-tu usées ?