Michel Host
Jean Claude Bologne
Responsable de la page :
29 septembre 1937
Furnes (Belgique)
5 juin 2021
Paris (France)
83
ans
France
Présentation
« Un être trop mobile pour être saisi dans leur poêle à frire les catégories idéologiques » : ainsi se définit Michel Host dans L’Êtrécrivain (2020). Autant dire qu’il serait aussi vain qu’indécent de vouloir l’enfermer dans une présentation nécessairement réductrice, même s’il a volontiers donné des clés de son écriture (L’Êtrécrivain) ou de sa vie (Les Attentions de l’enfance, 1996). Yves Chavatte est né à Furnes le 30 septembre 1937 et se revendique franco-belge par sa jeunesse bruxello-wallonne. « L’inattention désespérante d’une mère », la révélation des tentatives qu’elle a faites pour avorter, la prison de l’internat, la guerre et la Libération, avec l’Allemagne changée en un tas de gravats et la France dont l’âme est détruite : la mémoire lointaine est liée à la souffrance. Mais c’est dans ces déchirures de l’être qu’il faut chercher la « racine de l’écriture ».
Et la racine de la révolte, sans doute, qu’il revendique jusque dans le pseudonyme dont il signe tous ses livres, Host : l’étranger plus sans doute que l’ennemi (Hostis). Car la seule souffrance inextinguible est celle que vous causent vos proches, écrit-il dans Valet de nuit (1986), « à moins de les métamorphoser en étrangers, ou de devenir étranger soi-même ». Le choix du pseudonyme a été cette rupture.
La révolte s’est faite contre l’hypocrisie familiale, mais aussi, et surtout, contre ceux qui confisquent ou dénaturent le monde, les financiers, férocement caricaturés dans La Soirée (1989), les critiques littéraires, qui miaulent quoiqu’ils aient une tête de chien (Images de l’Empire, 1991), l’écrivain qui fait carrière, « histrion qui par Dieu sait quelle infatuation se prend à dire “son texte” » (L’Êtrécrivain). Contre la violence, l’hypocrisie, les dogmes, contre le pasteur qui bénit l’avion parti bombarder Hiroshima… Dans une totale liberté de penser et d’écrire que lui permettait son retrait du milieu littéraire, il n’est pas de ceux « que corsètent les bonnes mœurs, les manières policées le penser selon les idéologies en vogue, le ne pas agir, le toujours traverser les clous ». Le monde littéraire l’a d’emblée distingué : son premier roman, L’Ombre, le fleuve, l’été (1984) lui a valu le prix Robert Walser, auquel il tenait particulièrement, et son deuxième, Valet de nuit (1986), le prix Goncourt. Mais « Host ne joue pas le jeu », se plaignait son éditeur, faisant semblant de ne pas s’apercevoir que de graves problèmes de santé l’empêchaient de jouer.
Il ne faudrait pas limiter Michel Host à ses révoltes et ses colères. Sa vie sociale, limitée par sa santé, n’en fut pas moins intense. Il fut un professeur passionné. Agrégé d’espagnol, il a publié des traductions de l’espagnol, du portugais, du grec ancien, en particulier celle des incroyables sonnets de Gongora. Son goût pour l’Espagne baroque nous a aussi valu une picaresque « autobiographie fictive », Converso ou la fuite au Mexique (2002). En marge du milieu littéraire qu’il abhorrait, il a privilégié la convivialité littéraire dans divers groupes d’écrivains, le groupe Écritures (qui accoucha d’un improbable roman collectif, L’affaire Grimaudi), le Shangaï (qui retenta l’aventure avec Les énigmes de la rue Perrault), le groupe Nankin (qui commença Rouge Mémoire mais lui préféra vite un dictionnaire des mots qui auraient dû exister), le groupe du Vieux Châtelet (dont l’album n’eut rien à envier à l’album zutique)…
On notera que ces groupes avaient surtout opté pour le nom de cafés ou de restaurants. Car Michel Host fut avant tout un épicurien, fin connaisseur de bourgogne (sa cave faisait les délices des invités et des escargots), amateur de vitesse (ce qui faisait moins les délices de ses passagers), complice de tous les chats perdus de France et de Navarre (pour lesquels il fonda l’ordre du Mistigri). Un parfum de paganisme joyeux traverse ses romans et nouvelles : Une vraie jeune fille (2015, le titre n’étant pas à prendre au pied de la lettre) ou les Mémoires du serpent, qui nous révèle que le paradis terrestre était en Écosse, le whisky tourbé le disputant au bourgogne dans son verre. Car, l’ignoriez-vous ? ce que le créateur inventa le septième jour, ce fut le premier bar en acajou. L’humour franc l’emporte alors sur l’ironie décapante. Au paradis règne encore l’innocence d’avant la chute, chez « ces gens à qui leur sagesse et leur naturel permettaient de rire plusieurs fois par jour et jusque tard dans la nuit sans en éprouver ni culpabilité ni remords. » Là, aussi, où les demoiselles montrent leur corps sans plus chercher à l’exhiber qu’à le dissimuler, tant elles sont « d’un naturel simple et charmant ».
Voilà un profil qui semble incompatible avec celui du révolté asocial. Et il y en a bien d’autres. Essayiste, pamphlétaire, romancier, nouvelliste, Michel Host fut aussi poète. Un poète hors moule, bien sûr, pas un pohèèète. Écrire, dit-il, c’est se tourner « vers l’intérieur de l’être, l’intime du consentement à l’art ». Les termes ont ici toute leur force. Consentir, c’est s’oublier suffisamment pour que l’autre (l’art) pénètre en soi. Et l’on n’est pas surpris de le voir citer Rilke, ce mystique de l’écriture : « une œuvre d’art est bonne si elle provient de la nécessité. » Le mauvais écrivain veut dire quelque chose ; le bon doit le dire. Alors, dans l’oubli de lui-même, l’écrivain peut recevoir ce que les Espagnols nomment el ángel, l’ange, « une sorte de feu, un plaisir, des plaisirs parfois proches d’un enthousiasme sans dieu ou sans dieux ». Cet enthousiasme au sens premier (l’intrusion d’un dieu en l’homme) mais… sans dieu ne pouvait que nous rapprocher.
« L’accès à une forme d’éternité, une mise à distance du monde me paraissent possibles ou même indispensables par le biais de l’effacement littéraire, projection de l’esprit du romancier », écrivait-il (revue Sud, juin 2007). Puisse sa disparition, le 6 juin 2021, lui donner « l’accès à une forme d’éternité » ; mais elle laisse tous ses amis orphelins.
Jean Claude Bologne