Une rencontre
Danielle Boulaire
Pour
Michel Host
J’ai fait la connaissance de Michel Host par l’intermédiaire de sa compagne, Danièle Blanchelande, rencontrée à la revue Sorcières, à laquelle je collaborais. Elle avait donné pour la revue plusieurs de ses beaux dessins.
J’appris que son compagnon était écrivain, qu’il était reconnu et même en liste pour l’attribution du prix Goncourt. Je fus impressionnée.
Mais il n’était nullement intimidant, toujours modeste et à l’écoute des autres.
Naturellement, je lus ses premiers livres, et pour commencer L’ombre, le fleuve, l’été. Je fus emportée dans ce voyage entre les États-Unis et l’Europe, dans cette époque de l’entre-deux-guerres, par la présence si réelle de tous ces personnages qui revivaient dans la mémoire de celle qui allait mourir.
Je continuai d’être une fidèle lectrice. Michel me dédicaça ses livres, souvent m’en offrit.
Les Cercles d’Or me le firent connaître plus personnellement, avec son enfance déchirée dans le Plat Pays, l’amour des animaux, des paysages paisibles.
Je fus bientôt reçue à la Tour, cet appartement tout là-haut avec la vue incroyable, surplombant ce Paris qu’il chérissait et détestait en même temps.
J’aimais, j’aime toujours, l’atmosphère chaleureuse de ce lieu dédié à l’écriture et à l’art, mais aussi aux joies de la vie avec les bons vins et les bons repas, les discussions animées, la stimulation qui pour moi en résultait.
Je fus également invitée dans leur maison de Bourgogne, jolie maison à leur image, à la fois simple et pleine des richesses de l’esprit, de la générosité, de l’intérêt pour les autres, de l’amitié.
D’autres livres me firent mieux connaître sa part d’ironie amère, de désenchantement parfois, qui ne remettait nullement en question pour lui la nécessité existentielle d’écrire.
Michel était aussi traducteur. Grâce à lui j’ai découvert Gongora que, je l’avoue à ma honte, je ne connaissais que de nom. Il a su être le passeur de ce monde flamboyant, si triste parfois mais toujours plein de vie. Les versions bilingues m’ont comblée, même si ma connaissance de l’espagnol est rudimentaire. Mais le rythme est là, dans les deux langues.
Et la poésie ! Michel disait que la poésie pour lui avait précédé l’écriture en prose. L’amour et le polissage des mots, leur musique, leur agencement lui ont fait dire que la poésie était pour lui « traduction dans la langue maternelle… de la langue sourcière mal connue, celle des émotions et des intuitions ».
Son recueil Figurations de l’Amante, illustré par Danièle Blanchelande comme plusieurs de ses oeuvres, prend une valeur toute particulière, maintenant qu’il n’est plus là, dans l’ensemble de poèmes de « Pour quand nous ne serons plus ».
Je salue aussi toute son activité autour de l’écriture. Je relis encore de temps en temps sa chronique « La Mère Michel a lu », grâce à laquelle j’ai découvert plusieurs auteurs.
Très vite, il m’encouragea dans mes débuts littéraires, ainsi que Danièle et leur fille Ysé qui n’était à l’époque qu’une adolescente mais dont le soutien aussi me fut précieux. Michel se démena pour me trouver un premier éditeur, fut déçu à chaque refus, persévéra néanmoins. Je lui dois, je leur dois à tous les trois, d’avoir persévéré moi-même, de n’avoir pas cédé à l’auto-dévaluation.
Sa fidélité continua et il salua chacun de mes livres suivants.
Une anecdote me touche particulièrement. Quand il fut transporté à l’hôpital pour la dernière fois, il avait en chantier une critique d’un de mes livres qu’il destinait à la revue La Cause Littéraire. Malgré son départ, grâce à Danièle, l’article put être publié.
Michel était un « vrai » écrivain, je veux dire soucieux avant tout de ce qu’il avait à écrire, de ce que l’écriture réclamait, sans se préoccuper d’éventuelles réactions positives ou négatives du monde littéraire.
Il était un « êtreécrivain », ainsi qu’il intitula son dernier livre, non pas une somme ni un testament, plutôt le moment de mettre au clair, pour ses lecteurs et lectrices et peut-être pour lui-même, le rapport à l’écriture, avec ses joies et ses difficultés.
En 1942, dans Le Silence de la mer, Vercors écrivait : « Il existe encore en France des écrivains qui ne connaissent pas les antichambres et refusent les mots d’ordre ».
Michel était de ceux-là. Exigeant dans ses amitiés, ne cédant jamais aux sollicitations mondaines, se présentant lui-même parfois comme misanthrope.
Je ne peux que lui exprimer ici encore une fois toute ma reconnaissance.
Merci à lui d’avoir vécu cette vie qu’il nous a fait partager.